L’ISOLATION SENSORIELLE, UNE CONSTANTE DANS L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ

  • Cyril
  • Monday, Mar 5, 2018
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Le caisson de flottaison est un outil précieux: il permet de réduire le nombre de stimuli extérieurs qui atteignent nos sens; c’est probablement le meilleur dispositif de privation sensorielle qui ait été créé jusqu’à présent. Mais pour atteindre ce même but, on a utilisé depuis des milliers, voire des millions d’années, des outils et des techniques très variés. En voici quelques uns parmi les plus communs.

Préparation pour la chasse

Dans les sociétés primitives comme celle dont est issue notre propre civilisation les hommes se préparent à partir à la chasse en s’éloignant des activités habituelles et en « se purifiant » par le jeûne, le silence, les bains de vapeur et l’isolation, soit dans un petit abri, soit seuls dans un endroit éloigné de la vie du village. Ils croient que cette restriction sensorielle améliore leur capacité de chasser. Des tests récents montrent que de courtes périodes de privation sensorielle augmentent l’acuité de l’odorat, du goût, de la vue et de l’ouïe, ce qui prouve que ces chasseurs primitifs savaient ce qu’ils faisaient en agissant ainsi.

Rites de passage

Dans toute société pré-moderne, une cérémonie importante marque le passage de l’enfance à la société adulte. Ces rites de passage tirent beaucoup de leur pouvoir de l’introduction, au cours de leur préparation, d’une privation sensorielle plus ou moins sévère. De jeunes hommes sont confinés des jours et des semaines dans des huttes sombres, ou bien ils entreprennent un jeûne. Dans beaucoup de cultures, on attend des garçons qu’ils partent seuls en pleine nature pour de longues périodes, jusqu’à ce qu’ils aient fait l’expérience spirituelle de leur âge nouveau, en affrontant démons, fantômes, esprits des ancêtres, ou rêves — c’est la quête des rêves. Quelle que soit la technique de privation sensorielle utilisée, elle marche en partie parce qu’elle ouvre les jeunes à une nouvelle expérience, à une nouvelle sagesse, à une nouvelle responsabilité, en les rendant plus sensibles et plus conscients, de sorte que les expériences qu’ils vivent seront plus intenses, plus importantes et inoubliables.

Retraite spirituelle

Toute culture a toujours considéré une méthode de privation sensorielle comme essentielle à l’entraînement des chefs spirituels. Chamans, sorciers-guérisseurs, moines, prêtres, gourous, fakirs, yogis, prêtresses, médiums, mystiques et autres chercheurs spirituels vivent de fréquentes périodes, souvent rigoureuses, de silence total, de jeûne, de retraite dans de petites cellules, dans des caves ou des pièces sombres, ou encore d’éloignement sur des sommets de montagnes, dans des déserts ou sur des îles où l’isolement peut se combiner avec un input sensoriel monotone ou réduit au minimum. Comme les anachorètes du désert ou les « solitaires » mentionnés par Jean Cassien, les ermites, les moines et ceux qui cherchent l’illumination ont de tout temps considéré la privation sensorielle comme une part importante de tous leurs états mystiques ou transcendantaux, de leurs révélations, qu’il s’agisse d’un réel isolement dans le désert, un monastère, une cave, ou de l’équivalent mental d’un tel isolement auquel on accède par la méditation (concentration ou restriction) et les techniques de prières.

Pratiques spirituelles

De semblables limitations de l’attention ont été soigneusement enregistrées par les alchimistes du Moyen Âge, lorsqu’ils répétaient sans fin le broyage et la distillation de composants chimiques divers. Le récit de leurs tentatives pour transformer, au moyen de la pierre philosophale, des matériaux très ordinaires en or alchimique, est aussi, on le sait maintenant, une description symbolique de leurs tentatives pour amener, par diverses techniques de privation sensorielle, la conscience ordinaire à des niveaux plus élevés, symbolisés par l’or. On pourrait établir une longue liste d’artisans et de travailleurs de toutes sortes qui ont utilisé une intense concentration sur des tâches apparemment banales, afin de limiter l’usage de leurs sens à des fins spirituelles ou pour leur plaisir. Ceci inclut les artisans qui sculptent de longs passages bibliques sur de minuscules morceaux d’ivoire, les tisserands, les calligraphes, les joailliers, les orfèvres, les tailleurs, etc.

L’isolement créatif

Beaucoup d’expériences esthétiques profondes et de moments d’illumination créative, d’inspiration ou de révélation, ont eu lieu dans des circonstances où l’input sensoriel avait été réduit de différentes manières. Nous connaissons tous ces histoires de savants ou d’artistes qui ont vécu des intuitions ou des révélations créatrices soudaines, alors qu’ils étaient confinés dans « la mansarde de l’artiste », qu’ils contemplaient le feu dans la cheminée ou encore qu’ils marchaient sur la plage, l’attention tout entière tournée vers l’intérieur. En fait, un des éléments essentiels de toute pensée créatrice est la concentration obtenue au moyen de l’une ou de l’autre méthode de limitation de la stimulation sensorielle.

Isolement involontaire

Il existe des récits fascinants de personnes qui ont expérimenté une isolation sensorielle involontaire, souvent durant de longues périodes: des explorateurs polaires perdus pendant des mois dans un grand vide blanc, des navigateurs solitaires, des survivants de naufrages ou de catastrophes aériennes, des prisonniers gardés au secret, des explorateurs du désert. .. Et pratiquement tous parlent d’une transformation révélatrice produite par la privation sensorielle.

Sur le divan du psychanalyste

Un des aspects les plus positifs de la psychothérapie traditionnelle découle de l’effet de privation sensorielle: le patient étant allongé dans une position de relaxation (l’analyste, en général silencieux, est assis derrière), il ne lui arrive que très peu de stimuli visuels et auditifs susceptibles de le distraire d’un état d’associations libres, presque d’un état second.

Partir loin de tout

Les habitants de nos cités modernes attachent beaucoup d’importance au fait d’avoir un petit coin à eux au bord de la mer ou à la montagne. Consommation pour épater la galerie? C’est ce qu’on pourrait penser, mais ces « refuges » sont presque considérés comme des nécessités. La surcharge sensorielle de la vie citadine rend nécessaires des périodes de récupération. Des études cliniques sur le stress ont démontré avec évidence que des périodes de « bain » dans la paix, le calme et la solitude de la montagne, de la forêt, de la mer ou de la campagne étaient essentielles au maintien de la santé physique et mentale. La liste des formes d’isolation sensorielle que l’humanité a trouvées utiles, essentielles ou agréables, pourrait inclure: le sommeil, les siestes, l’hypnose, les jeux, la rêverie, l’écoute attentive d’une musique ou la lecture, les exercices répétitifs comme le jogging, et d’autres encore. Mais il doit être bien clair que l’utilisation de l’isolation sensorielle a une longue et respectable histoire et ne devrait pas être prise pour un simple désir d’évasion. La restriction sensorielle est un moyen efficace de se tourner vers la réalité, d’augmenter notre sensibilité et notre prise de conscience du monde réel. On a découvert que les états modifiés de conscience avaient en commun des caractéristiques générales, entre autres des modifications de la pensée, de la notion du temps et de l’image corporelle, un sens de l’inexprimable, une sensation de rajeunissement, une « hypersuggestibilité », des modifications dans l’expression des émotions et un relâchement temporaire du contrôle du moi. Ce sont là aussi des caractéristiques fondamentales de l’expérience de la flottaison, comme nous le verrons plus loin. Pour l’instant, contentons-nous de diviser l’expérience du vaisseau en deux moments: ce qui se passe quand vous êtes dedans, et ce qui arrive après.

Dans le caisson d’isolation sensorielle

En bref, lorsque nous arrêtons ou limitons les stimuli de l’environnement, nous devenons plus conscients de ce qui est encore à notre portée. Dans le cas présent, lorsque nous avons supprimé la lumière, le son, les sensations tactiles, la pesanteur, les autres personnes et le mouvement, ce qui reste est notre moi: la réalité physique de nos muscles, de nos systèmes internes, de notre cerveau, et la réalité non physique de nos pensées, émotions, intuitions et images mentales. Notre prise de conscience de ces réalités est d’une finesse et d’une intensité tout simplement inaccessibles lorsque nos sens sont tournés vers l’extérieur, répondant aux événements environnementaux.

Cette prise de conscience plus intense n’est pas sans contenu; elle n’est pas détachée des contingences de ce monde, ni sans utilité dans le « monde réel ». Des savants de différentes disciplines ont amassé des preuves écrasantes de ce que, en développant la connaissance de leurs mécanismes internes, les humains pouvaient en arriver à les contrôler consciemment. Par exemple, des expériences démontrent que par la simple concentration de sa conscience vers l’intérieur, une personne peut renforcer son système immunitaire de façon importante, diminuer sa pression sanguine, ralentir son rythme cardiaque, provoquer ou arrêter la sécrétion d’hormones, soulager sa douleur, développer ou amincir certaines parties de son corps et modifier l’activité de son cœur, de ses muscles, de son cerveau et de son esprit.

La découverte concernant le contrôle que peuvent opérer les humains sur leur propre corps en se mettant à l’écoute de signaux internes subtils a été faite spécialement par des chercheurs qui utilisaient les techniques de bio-feed-back. Elle constitue certainement l’un des faits scientifiques les plus stupéfiants des quinze dernières années. Pourtant, il n’y a là rien de bien nouveau: depuis des milliers d’années, utilisant des techniques de privation sensorielle, yogis, moines et fakirs ont accompli ces « miracles » d’autorégulation, et ce dans une joyeuse ignorance de nos savants occidentaux qui en niaient la possibilité. Il n’y a qu’à penser aux Hindous qui marchent sur du feu, ou aux moines tibétains qui, utilisant des techniques de méditation, élèvent leur température corporelle jus-qu’à pouvoir s’asseoir dans la neige en dessous de 0°C et sécher un grand nombre de couvertures humides et gelées, enroulées autour d’eux, ou encore aux yogis enterrés vivants durant plusieurs jours dans des boîtes étanches à l’air, aux guérisseurs et aux mystiques capables de se transpercer la peau avec des aiguilles à tricoter sans sentir de douleur, et dont le corps se cicatrise presque instantanément. Peu d’entre nous ont envie de se transpercer la peau avec des aiguilles à tricoter et j’ai rarement ressenti la nécessité de sécher quarante draps, trempés d’eau glacée, contre mon corps nu, étant assis sur une congère!

Mais le « secret » de ces formes (ou d’autres) d’autorégulation apparemment miraculeuses réside dans une prise de conscience des processus internes. L’efficacité de ce secret a été prouvée par tous ceux qui souffrent et qui ont appris à soulager des migraines paralysantes en augmentant consciemment l’afflux sanguin vers leurs mains, et aussi par des cancéreux en phase terminale qui ont réussi à se guérir complètement en utilisant des techniques fondées sur la privation sensorielle, en prenant conscience de leurs états internes et en visualisant leur corps extirpant le mal. Au cœur de ce qui se passe dans le vaisseau, on trouve alors ce paradoxe: en restreignant l’input sensoriel, nous augmentons notre prise de conscience sensorielle; en devenant aveugle, nous apprenons à voir d’une manière nouvelle et plus puissante; en cédant, en nous laissant aller, nous obtenons un meilleur contrôle et un plus grand pouvoir sur nous-mêmes et, en fin de compte, sur le monde extérieur.

Sorti du caisson

Si le simple fait de se trouver dans le vaisseau peut amplifier notre prise de conscience même des plus petits processus internes, l’intensification de la prise de conscience qui suit la sortie du caisson n’est pas moins profonde. Les gens qui sortent du bain sont souvent enchantés de découvrir que le monde semble avoir changé pendant qu’ils en étaient éloignés. Ils parlent de « voir les choses d’un nouvel œil » et décrivent le monde comme « frais, rayonnant, illuminé, brillant, plus intense, plus vif, lumineux, etc. » L’effet de l’aveugle Pew entre en jeu dans toute sa force: lorsqu’en pénétrant dans le caisson, on réduit les perceptions qui atteignent les sens, ceux-ci semblent répondre par une plus grande acuité, une plus grande sensibilité. William Blake décrit ainsi le processus: « épurer les portes de la perception ». Les maîtres zen parlent de voir le monde avec « l’esprit d’un novice ». Jésus parlait du besoin de voir avec le regard neuf d’un enfant. Les psychologues ont appelé ce phénomène « désautomatisation ».

Quelle que soit la terminologie utilisée, on semble percevoir le monde, après avoir flotté, avec une immédiateté, une richesse, une clarté saisissantes. Quelle que soit la valeur spirituelle de ce type de perception, on sait déjà qu’elle vaut la peine d’être vécue, tout simplement parce que c’est si agréable. En fin de compte, quelles que soient les autres vertus qu’on puisse trouver au vaisseau de flottai-son, voici celle à laquelle nous reviendrons constamment: le vaisseau est un outil de bien-être sûr, fiable, et on peut le maîtriser facilement et vite.